Ce soir de la
Saint-Sylvestre, je poursuis mon tour du monde en terre londonienne
pour m'engager sur les sentiers si répandus mais oh combien méconnus
de la gastronomie chinoise. Si l'est bien quelque chose que l'on voit
à chaque coin de rue dans nos régions, c'est un restaurant chinois.
Ma foi, force est de constater que l'on a généralement à faire
avec une habituelle carte à rallonge avec des sauces de base souvent
industrielles qui apprêtent indifféremment toutes les viandes et
les poissons. Peu vont proposer quelque chose d'un peu différent,
quitte à rompre avec les sensibilités en proposant des mets plus
authentiques, plus « street food », cuisine de ménage ou
encore seulement avec des vrais produits frais et travaillés. Bref,
une fois de plus, Londres s'avère prête à offrir à l'intéresser
quelque chose d'autre.
C'est dans un lieu réputé
que je passerai cette soirée du 31 décembre 2014, le Yauatcha. On
ne peut parler du Yauatcha sans mentionner le nom d'Alan Yau,
restaurateur de renom mais surtout créateur de concepts de génie
sautant d'un projet à l'autre de façon infatigable. Wagamama, cette
chaîne bien connue à l'échelle internationale basée surtout
autour de la nouille de tous pays asiatiques, est né de son esprit
prolixe; le concept a par ailleurs été reproduit et développé,
voire copié. Autre aventure marquante, celle du Hakkasan considéré
comme l'une des meilleures tables chinoises hors de Chine.
Yauatcha est l'un des
derniers nés du créateur. Un concept étonnant alliant dim-sum
traditionnels cantonnais ou revus, et pâtisserie fine et créative
d'inspiration française sublimée par un certain Graham Hornigold,
dans un univers de maison de thé moderne, raffiné, flirtant avec le
luxueux.
Il faut se frayer un
passage dans la sulfureuse et passionnante Soho, éventuellement
zigzaguer un peu avec plaisir avant d'arriver devant une devanture
bleu éclectique inratable (surtout de nuit). On devine qu'il y a du
monde et que toute l'équipe du Yauatcha c'est préparée à une
soirée excitée. En effet, le Yauatcha (comme bien d'autres
établissements) avait organisé une soirée de la Saint-Sylvestre
avec menu spécial (malheureusement pour moi, à partager à
plusieurs... j'ai bon appétit mais faut pas pousser non plus) mais
avec la carte toujours ouvert, DJ jusque tard de prévu pour passer
le cap
Généralement je me
méfie et n'attends pas forcément des merveilles d'une soirée de la
Saint-Sylvestre; s'il y a certes du plaisir, les restaurants sont
souvent incapables de sortir des indécrottables mets lourdissimes,
vont avoir tendance à être dépassés, vont manquer de précision
dans les assiettes ou alors vont ouvrir toute la carte en plus d'un
menu exceptionnel sans avoir la maîtrise ou l'équipe permettant de
gérer l'affaire (autant proposer un menu, un point c'est tout dans
ces cas là). Ici je ne me fais pas trop de souci: le Yauatcha a du
background, de l'expérience, une réputation à défendre qui lui
interdirait un faux pas dans une soirée qui attirera tant de monde.
Je pénètre dans un
restaurant déjà bondé. Un vestibule et un secteur d'accueil
immédiat, très professionnel et agréable. Sur la droite, un étal
de pâtisseries magnifiques annoncent un dessert gourmand. Aux
étagères qui lui font face comme aux murs, des boîtes de thé dont
le nombre restera indéterminé s’alignent, certains sont de très
grands thés, certains réputés, d'autres méconnus, toujours
raffiné et offrant des saveurs variées. Tous sont achetables sur
place, comme les pâtisseries, pour se faire un moment Yauatcha à la
maison. Le long du pupitre d'accueil débute un très beau et long
aquarium où vivent de très beaux poissons très colorés et plus
loin une sortie de bar / cuisine.
La salle est habitée de
tables sombres entourées de fauteuils blanc ou noir confortables.
Lumière tamisée, des plafonds au caissons en bois sombre et papier
(ou imitation de papier) de riz, le tout ponctué de ces mêmes
lumières bleue électrique.
Plus loin, un bar où un
monde énorme se tasse; c'est la salle d'attente d'une certaine
manière et le lieu privilégié pour débuter la soirée avec un des
cocktails de la belle suggestion de la maison et qui sont des
créations.
En sous-sol, une autre
salle globalement plus sombre mais avec des lampes à la lumière
plus crue, avec de temps à autres des notes de doré et une vie sur
les cuisines, offrant une ambiance toute différente. Ce qui ne
change pas, c'est la foule, le ballet des serveurs et le sentiment
festif.
Après un accueil très
professionnel et personnel malgré le monde, je suis débarrassé de
mes affaires et on me mène au bar où on me propose de patienter. En
effet, ce jour particulier,le Yauatcha avait prévu plusieurs
services et je suis arrivé (volontairement) un peu en avance. Me
voilà donc à choisir un cocktail dans cette salle surpeuplée et
animée, intéressante de par sa population mêlant couples, amis,
familles, enfants de façon toute naturelle.
La carte de cocktails est
très bien fournie, toutes de créations de la maison, classées
selon les types de goûts, charge d'alcool ou spécialités. Le choix
est difficile et je me lancerai pour un Hakka, l'un des cocktail
« signature » du lieu, composé de vodka
Belvedere, du saké Akashi-Tai Honjozo, du jus de lychee et de
lime et des morceaux de coco et de fruit de la passion fraîchement
préparés sous mes yeux. C'est d'une grande douceur tout en restant
léger et frais, avec une bonne teneur en alcool, très belle
création.
Assez rapidement, on
vient me chercher et on me mène à la salle principale. A peine
installé à table, on me propose de l'eau et on me porte la carte de
mets et de vins.
A mon grand regret, je
ferai l'impasse sur les menus et tâcherai de faire un choix dans
cette foule de délices que la carte raconte: dim-sums vapeurs,
frits, rôtis, tantôt traditionnels, tantôt simples, tantôt
surprenants, tantôt innovants. C'est la spécialité des lieux et je
savais que j'en ferai mon repas. Notons toutefois un très joli choix
de viandes, poissons et mets végétariens (tofu, légumes, plats de
riz, nouilles) qui sont bien loin du discours commun de nos régions
pour devenir tous absolument alléchants à la lecture seule.
Côté boissons, notons
le magnifique choix de thés, le très bon choix de vins fins et
sakés japonnais. Globalement, l'alcool est lourd pour la bourse,
dans ce restaurant, mais la sélection est des plus convaincante.
J'ai beau savoir que je
veux des dim-sums, autant dire que le choix est impossible. Après un
bon quart d'heure d'hésitation sans fin, je finis par laisser ma
serveuse, d'une grande patience, professionnelle et aimable, choisir
pour moi. Nous partons en premier pour une sélection « surprise »
de trois de ces bouchées.
D'emblée on me porte
trois sauces: l'une à base de soja et vinaigre de riz, une sauce
pimentée assez relevée et de goût plutôt raffiné, une sauce aux
piments torréfiés et sésame. Toutes trois sont probablement faite
maison de par les saveurs bien différentes des équivalents
industriels que je connais. Avec cela, des lamelles de concombre
marinées, d'une grande délicatesse: encore du croquant, un peu de
douceur dans une marinade révélant des saveurs de vin de riz.
Me sont proposés en
premier les « Pork and prawn shui mai ». Cela fait
probablement partie de ce qui se fait de plus traditionnel et
classique en la matière. D'un certain point de vue, lorsqu’on est
en quête de découverte, cela peut « décevoir » de ne
pas être surpris par de nouvelles découvertes dès le début.
Toutefois, cela permet d'établir un étalon de qualité par rapport
à quelque chose de relativement connu. Mais la déception s'arrête
là car la qualité et les saveurs sont incomparables. Moelleux,
gourmands, riches en bouches, les saveurs propres du porc et de la
crevette, tous deux de bonne qualité, se laissent reconnaître très
clairement et sont mariés à des saveurs de shii-take très
plaisantes. On déplorera un petit morceau cartilagineux dans un des
raviolis, provenant sans doute du porc. Malgré ce bémol, l'ensemble
est savoureux.
On continue avec l'un des
mets les plus commandés des lieux, le « Crispy duck roll ».
Des rouleaux de pâte de riz fine frits de belle taille, pas gras
pour deux sous, réservant à l'intérieur une quantité appréciable
de morceaux de canard tendres et riches en saveurs, parfaitement
assaisonnés et entourés de quelques légumes en julienne. Servis
avec une sauce traditionnelle hoi sin, elle aussi probablement
maison, pas trop sucrée, avec pas mal de relief, c'est un bonheur.
On continue avec
probablement la plus exceptionnelle assiette de la soirée, « Prawn
and beancurd cheung fun ». Le cheung fun est une forme quasi
inconnue dans nos contrées et qui pourtant fait partie des
incontournables chinois. Il s'agit traditionnellement de rouleaux de
pâte de riz fraîche et fine, farcis, cuits vapeur et servis avec
une sauce. Déjà, on ne peux que se réjouir de la précision dans
le façonnage et le découpage du rouleau qui est extrêmement
appétissant. La pâte est de belle texture et révèle un cœur
croustillant de crevettes en chapelure riche en saveurs, un peu de
salade et quelques juliennes de légumes. Le tout est servi dans une
sauce sombre de soja, plus corsée mais aussi un peu plus sucrée. À
ne pas rater !
Ma serveuse s'enquiert de
l'état de ma faim, et je ferai la place pour une quatrième assiette
qui sera un « King crab Shanghai siew long bun ». Le nom
traditionnel de la forme de ravioli est le xiǎolóngbāo
signifiant « petit sac » et réservant un contenu
tout à fait étonnant: servis avec une sauce
soja-gingembre-poireaux, l'intérieur est riche en morceaux de crabe
et surtout augmenté de bouillon ! Des raviolis à la soupe de
crabe. L'effet est remarquable et c'est excellent !
Côté boisson, j'ai
consommé de l'eau gazeuse et un excellent thé vert, infusé et
filtré par les soins de la serveuse, un « Rest Dragons Well »,
d'une grande délicatesse, floral à souhait, une brise printanière
en bouche.
Mais
finir un repas à Yauatcha sans prendre de dessert, ce serait presque
sacrilège lorsque l'on sait que c'est l'une des pierres angulaires
du concept. Trop indécis pour choisir, je me laisserai à nouveau
faire par ma serveuse qui me portera un « Chocolate toasted
rice », l'un des desserts les plus réputés des lieux. Une
mousse de chocolat au lait aérienne, étonnamment riche en cacao et
peu sucrée, montée sur un biscuit truffé et glacée d'une
couverture de chocolat de très grande qualité est augmenté de thé
matcha et de grains de riz soufflé. On retrouve en couronne le riz
soufflé ainsi que des éclats de noisette torréfiée et une goutte
de sauce caramel très délicate, ainsi que des petites feuilles de
chocolat noir au matcha de très grande qualité. A côté, une
quenelle de glace à la noisette sur une cuillerée de cette crème
caramel étonnante, entouré de riz soufflé, tantôt nature, tantôt
caramélisé et de noisettes.
Dans
les mots, on croirait à quelque chose de très lourd, mais il y a ce
je-ne-sais-quoi de magique qui a rendu le tout aérien, sans laisser
de sensation de sucre, de gras, de crème, de lourd. Juste un dessert
exemplaire, qui rend heureux que cela soit le dernier de 2014.
Le
tout pour la somme de 63.17£
Quelle
magnifique soirée au Yauatcha, dans un cadre tout à fait
particulier, servi avec un énorme professionnalisme et nourri d'une
cuisine délicieuse et différente. La Yauatcha est un concept
exceptionnel qui mérite grandement d'être découvert.
Il
n'y aura pas d'after DJ, ce soir-là, le nouvel an se fêtera cette
année au pied du London Eye; m'attend un spectacle de pyrotechnie de
haute voltige !
15-17
Broadwick Street
London
W1F 0DL
Royaume-Uni