vendredi 28 août 2015

Lucky Leek, Berlin

Troisième et dernier repas berlinois de mon séjour, ce 2 mai au soir, et ce soir-là, une véritable première!



Si quand on pense à l’Allemagne, on pense naturellement à bidoche et bibine, on remarquera assez rapidement, comme expliqué dans mes deux précédents articles, qu'à Berlin, c'est une autre histoire. Une autre histoire à tel point que Berlin est devenue, si j'ose dire, presque une capitale européenne du véganisme. Pour la faire brève, si vraiment il faut l'expliquer, il s'agit de ce mode de vie rejetant catégoriquement toute forme d'exploitation animale (nourriture, cosmétiques, vêtements, etc....). Une tendance marginale qui, à Berlin, a su prendre racine et faire de plus en plus d'adeptes véritablement vegan ou simplement offrir quelque chose de différent à qui correspondrait à l'appellation actuelle de flexitarien. Et généralement comment faire des adeptes ou sympathisants? eh bien simplement en proposant des restaurants qui démontrent que la gastronomie et le goût n'est pas réduit au ingrédients d'origine animale et que goûts, couleurs, textures, voyages et découvertes sont bien présents dans une cuisine vegan, qu'elle soit simple et ménagère comme gastronomique.



Notre destination du soir a mis à genoux plus d'un viandard, et malgré la tendance profondément « viande » de deux des convives à notre table, c'est (et de loin) le restaurant qui a remporté le plus de succès, élevant la cuisine vegane à un niveau de gastronomie vraiment haut. D'ailleurs, la communauté végane à échelle internationale connaît ce lieu, géré par la jeune cheffe, Josita Hartanto, nommé le Lucky Leek.



Josita Hartanto n'a pas ouvert un resto vegan par hasard. Elle a travaillé comme chef dans l'un des premiers restaurants végétaliens à Berlin avant d'ouvrir son propre restaurant. Très vite, elle a reçu un accueil des plus réjoui de la communauté végane et plus encore. Voila aujourd'hui bientôt 5 ans que l'adresse existe et ne désemplit pas. Ingénieuse, créative et inspirée, qui ne cherche pas, comme beaucoup le font, à « imiter » la cuisine classique, mais mêle, créé, agence avec suffisamment de sagesse et de savoir-faire pour que l'absence que quelque produit d'origine animale passe inaperçu. elle a su faire répandre son nom internationalement, aidée qui plus est pas les livres qu'elle a publiés, très beaux livres au demeurant, malheureusement introuvables en une autre langue qu'en allemand.



Bien que situé non-loin de notre première étape de notre séjour berlinois, donc de la nerveuse Eberswader Strasse, rien n'y paraît: encadrée de larges trottoirs parcourus d'arbres, la Kollwitzstraße donne l'impression d'une rue de banlieue sans histoires, résidences, petits magasins, restos, parmi lesquels se trouve le Lucky Leek. Une belle terrasse fort bien aménagée, entourée de d’arbustes variés dans des bacs en bois, mobilier noir ou bois, chemins de nappe jaune, cette dernière aurait été bien agréable s'il n'avait pas fait si froid. Les grandes vitres laissent deviner une lumière chaleureuse à l'intérieur, et une décoration dans les tons.



À peine entrés, nous nous retrouvons devant un bar fleuri, une statuette du Bouddha,et des serveurs souriants. Les murs sont blancs, ponctués d'autocollants noirs à motifs végétaux, parfois de panneaux écrits en français ou en anglais; un peu partout, des plantes. Une petite salle sur la gauche, dont une paroi revêt un beau miroir. En longeant le bar, on montera quelques marches décorées d'une très jolie étagère à vin pour arriver sur un mi-étage aménagé en salle. De petites tables de bois foncé, dressées simplement mais élégamment, entourées de sièges noirs. Les cuisines se trouvent en sous-sols et exhalent de parfums appétissant. Une ambiance vraiment plaisante.






Le restaurant est comble, familles, amis, couples, toutes générations confondues. On est néanmoins vite et chaleureusement pris en charge et menés à notre table. On nous apporte les cartes et nous propose à boire.

Un coup d’œil à la carte à suffi à me réjouir. Changeant à l'envie de la cheffe, il n'y a que deux choix à faire, un troisième subsidiaire: le menu 5 plats ou le menu 3 plat, toujours présentés comme des triptyques, tous deux proposés avec vin d'accompagnement. ça sent le frais, la saison, la créativité, la spontanéité et le travail. Aussi allons-nous découvrir l'entier de la carte, puisque 3 convives choisiront le menu 3 plats (dont un convive avec vin d’accompagnement) et pour ma part, je prendrai le menu 5 plats. C'est donc un aperçu de l'entier de la carte que nous allons pouvoir explorer.

On commencera par un très joli duo de mises en bouche: d'un côté, une quiche aux épinard très riche en saveurs, pâte fine saupoudrée de sésame, légèrement rougie à la tomate, ce qui pourrait presque donner l'illusion de jambon, une liaison savoureuse maintient les épinards (frais, au goût) pour une bouchée parfaite. La seconde mise en bouche est présentée dans une cuillère. Il s'agit, sur le fond, d'un houmous volontairement laissé assez grossier et pas franchement mixé (fait clairement avec des pois chiches secs et non en boîte, le goût ne trompe pas), augmenté d'herbes et de morceaux de tomate, ainsi que d'une bonne huile d'olive. Plantée dans cette préparation, une longue lamelle de concombre farcie de fromage frais et crémeux de soja aux herbes. C'est vraiment savoureux, gourmand et déjà, dans ces amuses bouche se trouve un très grand travail.


Puis le repas commence. Je serai seul avec une assiette en face des yeux au début: forcément, c'est le jeu quand on prend un menu plus long que le reste de la table.

Nommée « Maki de betterave cuite, concombre au miso, lentilles beluga », c'est une très belle assiette qui m'arrive (la photographie ne lui rend pas justice). Au centre de l'assiette, les makis font très envie, un riz bien fait, vraiment à la japonaise, justement vinaigré entoure une douce et moelleuse betterave cuite et découpée en tronçons. Autour, une bonne feuille de nori, le tout enrobé d'une très fine chapelure « panko » au sésame. On ne sent rien de gras, rien de frit, malgré (naturellement) que cela soit passé dans la friture. Le concombre au miso est cru, froid et mariné. Il garde un peu de croquant et derrière la fraîcheur du légume, la délicatesse d'un miso blanc pour un accord savoureux, saupoudré de panko au sésame apparemment légèrement rôti. Ces lamelles trônent sur un peu de lentilles beluga cuites à la perfection, aux saveurs d'épices difficilement identifiables. Le tout est entouré de quelques pointes de mousse de betterave et de concombre, du gingembre mariné maison en juliennes, une longue et fine julienne de betterave délicatement frite, deux lamelles d'avocat et une sauce soja légèrement vinaigrée. Cette assiette m'a particulièrement intéressé car sans connecteur logique entre les ingrédients dans l'intitulé, cela forme un ensemble étonnant qui m'a donné un plaisir assez inattendu.


Avec cette assiette, un vin du domaine Weegmueller, famille aux lointaines origines helvètes, un Weisser Burgunder 2012, blanc sec et joliment fruité, sensiblement pétillant, aux notes légères de framboise.

2ème vague de plats.

L'entrée du menu 3 plats est une crème de fenouil remarquable, aux saveurs riches et équilibrées, bien épicée, avec une pointe d'agrume offrant un joli pep's de l'huile piquante. Sur le côté de l'assiette, une cuillère contient une marmelade de carotte étonnante, pas trop sucrée, avec toujours un caractère « racine » mais d'une grande gourmandise, sur laquelle se trouve une boulette de champignon shiitake moelleuse, croustillante autour, à la saveur intense, presque viandesque, propre à ce champignon, qui parviendrait probablement à tromper un amateur de viande. Une très belle assiette!




Ma seconde entrée sera un « consommé printanier ». Bouillon de légumes tout à fait savoureux, augmenté de dés de tomate, d'oignon frais et de basilic jetés au dernier moment dans l'assiette. au centre, un cannelloni à la pâte fine et fraîche de très belle facture, farci d'une préparation épaisse et liée au pak choi d'une très grande gourmandise. Beaucoup de finesse dans les saveurs.
Nous partagerons le même vin pour les deux menus , un vin de la maison Neumer à Uelversheim,  2013. Un Sylvaner vif et frais, aux notes d'agrumes et à la finale douce.


Puis ma troisième entrée arrive, à nouveau très esthétique et de saison: au centre du mets un risotto qui, s'il était peut-être (très) sensiblement un peu surcuit à mon goût, avait une saveur magnifique. Lié avec une crème de petits pois, riche en ail d'ours et augmenté de lamelles d'asperge verte, c'est un hymne à la saison et au manger local juste augmenté d'un twist étonnant mais concluant de cardamome verte. Alentour, on trouvera des feuilles d'ail d'ours, des pointes d'asperges blanches, des juliennes de carottes, des vermicelles de riz frites et une croquette délicieuse de champignon de Paris. Un bonheur qui sera accompagné d'un verre de Riesling de la Weingut Immich Batterieberg, « Mosel Riesling Kabinett », 2013, un vin assez pétillant, très minéral, aux notes de pomme verte.


Puis viennent les plats. Les autres convives auront des raviolis « Mezzelune » à la tomate, une pâte à nouveau clairement fraîche et faite maison, vraiment très bien réussie, barbotant dans une sauce au paprika savoureuse et gourmande. Trône au-dessus de cela une feuille de chou chinois à la farce qui me restera étrangère mais qui développera d'étonnantes saveurs de saucisses au chou (je rappelle que l'on est dans un restaurant vegan). Pour compléter l'assiette, des légumes grillés (courge, courgette), un peu de chou chinois juste revenu et une brunoise de courgettes et poivrons, juliennes de carottes. Pour dérouter encore un peu plus, une croquette de « feta » vegan à base de tofu dont la texture est véritablement trompeuse et des saveurs joliment acidulée qui pourrait faire illusion. Une assiette impressionnante dont le vin d'accompagnement sera, cette fois, italien, de la maison Tenuta de Angelis, un Rosso Piceno Superiore DOC 2010, assemblage de Montepulciano et de Sangioviese couleur rubis, très porté sur le fruit rouge assez concentré, cerise, baies sauvages, avec une belle structure et un bon équilibre.


Mon assiette n'aura toutefois pas à rougir de cette dernière; elle aura comme ingrédient central le seitan. Ceux qui me suivent ou me connaissent un peu savent que je suis un amoureux d'une drôle de bête, le seitan, présent en plusieurs endroits sur mon blog, avec deux méthodes de fabrication, ici, et (augmentée d'une recette), et probablement l'un de mes plus gros délires que vous trouverez par là.
Il se présentera donc ici sous forme de tournedos. Le seitan, devenant si facilement gommeux au point où parfois on peut avoir l'impression de mâcher du pneu, est ici réalisé à la perfection. Il a une saveur très délicate, sans doute préparé dans un bouillon aromatique puis grillé de parts et d'autres, entourée d'une fine tranche de courgette pelée (donnant l'illusion du gras du tournedos) et placé sur une crème d’artichaut d'une très grande finesse. De l'autre côté de l'assiette, une "tartelette" d'aubergine. A nouveau entourée d'une rondelle de courgette, une superposition de fine pâte un peu sablée et d’aubergine très moelleuse pochées à nouveau dans un bouillon très parfumé. Viennent compléter le plat un coulis de tomate très concentrée et goûteuse, une petite confiture d'airelles et d’oignons, une petite ratatouille, des morceaux de fenouil légèrement frit . Le tout formant presque étonnamment un ensemble très cohérent pour énormément de plaisir. Splendide!
Un Bordeaux pour accompagner ce plat, un château le Bel « Franc de Bel », 2012, pur Cabernet Franc de petite production, agréablement boisé, un peu toasté, frais et fruité, d'une grande élégance.



Non qu'il fasse encore faim, un tel repas mérite un dessert! Dessert qui n'auront rien à envier, d'ailleurs, à ce qui les a précédé.

Les « petites dîneuses » auront droit à une « tartelette choco-cassis », presque semblable à une tourte, alternant de très fines couches de génoise excellents et de masse mousseuse de chocolat intense et de cassis frais, le tout sur un feuilleté-caramélisé. A côté, une quenelle d'une régressive glace au cookie, le tout est complété par une mousse au lait de coco et un cube à la framboise, avec une petite présence d'un fantastique crumble à la pistache. Un dessert beau et savoureux. En accompagnement, un rouge doux, dont la référence m'a échappé.





Pour ma part, une quenelle de glace caramel sur un même crumble à la pistache encore tiède. Une sorte de macaron savoureux au chocolat intense farci de cette savoureuse mousse de coco, nappée de sauce caramel très foncé (faisant penser à du fudge), de couronné de dés de carambole qui, ici et pour une fois, n'est pas employé juste pour son esthétique mais pour le côté frais et parfumé qu'il apporte. Enfin, un dé fondant aux saveurs de banane grillée surmonté d'une rondelle d'orange caramélisée. Formidable, accompagné d'un Riesling doux dont les références me manquent, mais qui fut parfait avec ses saveurs très fraîches derrière un certain gras.





Malgré la quantité des plats et de vins, il faut souligner que c'était un repas irréprochablement bien rythmé, encadré d'un personnel serviable, d'un très grand professionnalisme, sans oublier la pointe d'humour et les tentatives ma foi plutôt bien réussies de nous parler français.

Vous l'aurez compris, Lucky Leek est le coup de cœur général de ce séjour. J'appréhendais surtout cette visite pour mes convives; que nenni, elles on adoré en tout point. Bluffés jusqu'à l'os par cette créativité, cet esthétisme et finesse, on oublierait presque que l'on se trouve dans un restaurant vegan, donc que tout ce qu'on a consommé ce soir fut sans la moindre utilisation de produit d'origine animale. Le seul indice serait peut-être que même après tout cela, on ne se sent pas "tassé", mais réjoui et confortable.

On fera durer un peu le plaisir avec du très bon thé, servi en vrac, deux sencha, et un Earl grey. Avec les boissons, ce repas nous reviendra à EUR. 211.80.

Lucky Leek n'est pas un lieu qui laissera flegmatique. On y sera surpris, réjoui, interpellé. Bref, je doute que l'on puisse rester insensible à ce lieu.

Kollwitzstraße 54
10405 Berlin
Allemagne