Le Schneeweiss a su se faire une jolie
réputation dans le monde gastronomique berlinois et son nom est
assez fréquemment cité dans des blogs, guides ou journaux: dans
le top 10 des restaurants alpestres de Berlin, dans le TimeOut
Berlin et j'en passe, qui en parlent tous en des mots plutôt
encourageants tant question cuisine que cadre.
Nous voilà donc en plein Berlin Est,
dans le quartier de Friedrichshain. Un quartier assez surprenant par
ailleurs. Un grand centre ferroviaire dans le coin, alentours entre
terrains en friche, bâtisses délabrées et chantiers de
construction.
Plus au sud, on se rapproche du Spree,
des bâtiments modernes côtoyant le rougeoyant prussien et, tout le
long de cette rivière, la fameuse East
Side Gallery, morceau du mur de Berlin de quelques 1.3km ayant
servi de support d'inspiration a un nombre remarquables d'artistes de
rue, y laissant s'exprimer, dans le silence des graffitis, tantôt
poésie, tantôt dureté, tantôt humour, tantôt gravité. C'est la
plus grande galerie continue d'art de rue méritant véritablement un
détour, d'autant qu'elle est aujourd'hui menacée par les grapheurs
médiocres et irrespectueux ainsi que par les agences de
construction.
Plus au nord, du côté où se trouve
notre destination du soir, des quartiers plus calmes de restos,
bistrots ou logements.
Dans ce cadre spécial et bigarré se
presse une foule dense qui l'est tout autant, franchement axé sur
l'alternatif. Aujourd'hui, c'est jour de fête: le 1er mai
est une institution indétrônable à Berlin et c'est à
Friedrichschain (ou Kreuzberg) que cela se passe ! Concerts en
rue, bières coulant à flots, police prête à agir (un vrai
bataillon qui, bien qu'équipés pour la chasse au grizzly, sont
plutôt bonhommes et ne font pas pression, restant simplement dans
leurs fourgons.
C'est donc du côté nord que nous
serons. Simplonsstrasse, on a l'impression d'être sur la voie
principale d'une banlieue résidentielle: peu de voiture, des parcs
partout, de jolies maisons, c'est extrêmement calme et on ne peut
que penser que de vivre là doit être un bonheur. Un écrin de paix
où Blanche-Neige a su imposer une image nouvelle.
Car oui, c'est bien là la traduction
de Schneeweiss qui d'ailleurs joue sur deux plans avec un tel nom,
les deux plans soigneusement imagés en deux logos différents. L'un
fait référence à la cuisine alpestre servie dans les lieux, avec
un logo dont l'arrière plan, représentera schématiquement un pan
de montagne dans un hexagone (rappel des flocons de neige). C'est
d'ailleurs le logo « officiel » que l’on verra sur la
potence à l'extérieur, extérieur qui brillera d'ailleurs par sa
discretion. Dès l'intérieur, on trouvera le logo « alternatif »,
forcément inspiré du conte bien connu, mais signalant clairement un
côté décalé du lieu, car il s'agit d'un nain de jardin blanc
tirant un doit d'honneur à son public, esquissant un petit sourire
narquois. En gros, d'emblée, j'aime !
ON entrera dans un écrin virginal,
élégant, juste rehaussé par un parquet et des chaises sombres. Des
banquettes en cuir blanc confortables, petites tables carrées,
élégamment dressées et comportant toutes un petite ensemble floral
aussi blanc que le reste. Au plafond, un magnifique lustre de
feuilles de cristal ajoute en élégance et participe à faire de ce
lieu un endroit lumineux et sophistiqué.
Je vais être obligé de faire une
aparté négative immédiatement. Ayant réservé via le système
Open Table, le
serveur qui nous accueille nous rappelle immédiatement avec beaucoup
de nonchalance et un ton peu aimable que les tables « opentable »
ne sont disponibles que 2 heures durant et nous fait bien comprendre
qu'il allait veilleur au grain pour que l'horaire soit respecté. Si
tout au long du repas nous avons été servis par un personnel
charmant, souriant, professionnel et serviable, sans jamais se sentir
stressé, le même personnage, semblant apprécier faire le sale
boulot, viendra au terme du repas nous présenter la porte de sortie.
On ne laissera toutefois pas cela gâcher la soirée, c'est bien peu,
mais c'est une attitude que j'ai trouvée des plus déplaisante !
Enfin... nous voilà à table et le
relais est déjà pris par une charmante serveuse qui nous porte les
cartes et nous proposera un apéritif. A la table, un coca et trois
cocktail du moment, le « Jäger Negroni », composé
essentiellement de prosecco et de Jägermeister
(dont l'histoire mérite d'être lue), mêlé de sirop d'herbe
(dont je n'ai pas pu trouver la composition). Un cocktail frais,
élégant, très équilibré entre amertume et douceur, très
plaisant.
On en profitera naturellement pour
commander l'eau et les deux verres de vin qui accompagneront le
repas, un rouge nommé INK, assemblage de pinot noir,
Schwarzriesling, Dornfelder, Syrah et Grenache, du domaine Friedrich
Becker Junior (2011), un vin élégant et équilibré, aux riches
notes de cassis.
Consultant la carte, on se réjouira de
la voir petite et datée à la semaine, proposant une cuisine
« alpestre » fraîche et de saison, raffinée et typique
tout à la fois, un rien imaginative et à tarifs tout à fait
corrects ! Le choix ne sera pas facile à faire mais on se
lancera ! A peine commandé, on nous portera une jolie corbeille
de pain, l'un très foncé, au levain et parfumé d'épices
semblables au pain d'épice mais en plus discrètes, l'autre mi-blanc
tout à fait appréciable. Ils sont accompagnés d'un beurre à la
betterave excellent et de crème aigre.
En entrée, deux convives se
partageront un onglet de bœuf, asperges, morilles et échalotes au
vinaigre. Ce n'est pas réellement une entrée mais une catégorie de
plat qui est en portion réduite, que le restaurant appelle
Zwischengang. Une petite tranche d'onglet tendre à souhait, cuite rosée, trône en maître sur deux tronçons d'asperge blanche savoureuse entourée d'échalotes au vinaigre doux.. Un jus de viande corsé légèrement aigre-doux ajoute en gourmandise à ce plat esthétique. Une belle réussite.
Un troisième convive choisira la
simple salade de feuilles, joliment garnie, fraîche et colorée, avec une délicate et légère vinaigrette très plaisante.
Pour ma part, je me laisserai séduire
par une assiette de calamaretti, Cecina, chicorée de trévise,
mozzarella de bufflonne et tomate. Une assiette très graphique,
grande et ronde, avec le contenu se concentrant en arc de cercle
riche en couleurs et reliefs. Sur un lit de fine chapelure (sans
doute les restes du pain servi, intelligemment transformé et
réutilisé) se dressent des monticules de feuilles de salade fraîche
et deux feuilles de trévise, le tout assaisonné d'une splendide
pesto. Centrée, une tomate dodue et goûte débitée en un cube
régulier devancé par une mayonnaise bonne, assaisonnée sans pour
autant que je sois parvenu à déterminer les saveurs. Quelques fines
lamelles de Cecina,
une viande séchée de bœuf très réputée provenant de León, en
Espagne, de saveur exceptionnelle. De la mozzarella de bufflonne,
riche en goût, magnifiquement crémeuse est parsemée de-ci de-là
et enfin, les calamaretti sont arrangés après avoir été juste
surpris, comme il se doit, leur donnant une tendreté parfaite. Et
tout cela forme un ensemble tout à fait réussi, où les saveurs et
les textures se lient pour arriver à un résultat des plus
réjouissant. Une très belle assiette !
Côté plats, à nouveau trois convives
choisiront le même plat, soit les raviolis maisons à la courge,
noix et herbes fraîches. Une belle assiette, élégante et raffinée,
offrant une portion généreuse de raviolis à la pâte de texture
parfaite, une farce gourmande où la courge est très présente. Le
tout est recouvert d'une béchamelle plutôt légère et de belle
saveur tandis qu'une intelligente écume de fromage assez corsé
vient couronner le tout. Intelligente car par ce procédé d'écume,
l'équilibre des goûts est parfait tandis que « pur »,
cela aurait eu tendance à devenir trop salé et trop lourd en
saveurs. En décoration, quelques feuilles d'épinard, un bouquet de
scarole et voilà un plat très réussi.
Pour ma part, c'est du flétan de
Groenland (ou flétan noir; un poisson que l'on trouve assez peu par
chez nous), asperges vertes, romanesco et pop corn au boudin noir.
Assiette tout en délicatesse, où de fins tronçons de poisson cuit
à la perfection apparemment vapeur ou peut-être sous-vide, chair
ferme et fondante, assez proche du colin et à la saveur douce, se
perdent dans un amoncellement élaboré d'asperges vertes et de
romanesco qui ont gardé du croustillant. Le pop corn, parsemé de ci
de là exhale une saveur vraiment intéressante et apportent du
croquant au plat. Le tout est légèrement baigné dans une petite et
légère sauce crémeuse augmentée de gouttes d'une huile d'olive
mêlée d'herbes donnant du relief au plat. Une très belle
réussite.
Les raviolis tassant plus que le
poisson, je serai le seul à prendre un dessert « complet ».
Deux convives prendront des mini crèmes brûlées, sans
particularité à défaut qu'elles étaient de très belle facture.
Pour ma part, je succomberai au brownie
au chocolat Callebaut, mûres, éclats de chocolat et crème glacée
au chocolat blanc. La Maison
Callebaut est probablement l'une des maisons les plus renommée
de chocolat belge, que même les grands chefs vont volontiers
favoriser, au même titre que Valrhona.
La présentation est très agréable et travaillée. Au centre de
l'assiette, un carré de gelée cassante de mûre (fait à
l'agar-agar) sert de marchepieds à un brownie généreux, sombre,
moelleux et fondant. Le chocolat est de très belle qualité et bien
présent pour un ensemble pas trop sucré. Une quenelle de glace au
chocolat blanc couronne le tout. Savamment répartis dans l'assiette,
mures, pop corn chocolatés, sorte de crumble et pointes de gelée de
pomme viennent compléter le tout pour un mélange savoureux et
réconfortant.
On finira ce très beau repas avec un
thé, pour une addition de 160.80 euros.
Malgré un début et une fin de service
mouvementés et, peut-être, un peu fâcheux, il faut souligner la
qualité des serveuses qui, tout au long du repas, se succéderont
tout en discrétion pour répondre à nos moindres besoins. Un service
sûr dans un établissement au décors assez exceptionnel où les
papilles ne seront assurément pas en reste. Si l'on peut tirer leçon
de cette histoire, prudence quand on s'engage à respecter un temps
imparti pour un repas !
Simplonstrasse 16
10245 Berlin
Allemangne